Le travail du potier, artisan du secret se fonde dans la patience, la rigueur et la difficulté, l’étrangeté des alentours, le feu et les poussières de bois, les soupirs et l’eau, sachant qu’une brindille suffit à déposer le témoignage d’une suffocation, le déploiement d’une solitude.

Placé dans les meilleures conditions possibles, mais ne pouvant tout prévoir, tout saisir, il s’engage totalement dans l’aventure, décide de faire un saut dans l’inconnu et prend le risque de s’abandonner à la chance.

Ce n’est qu’après la sortie du four, quand ses pièces naîtront pour la seconde fois, qu’il saura si la chance est récompense, miracle, inespéré.

Elles dont les mêmes éléments, à la fois les distinguent et les joignent, leur donnent autonomie et dépendance, leur donnent leur beauté unique, leur chance.
En effet, chaque objet a reçu différemment l’émail liquide, à chacun son hasard d’imprécision, sa vague de couleur inscrite, indélébile.
La répétition de l’attention donnée à chacun d’eux a donné lieu à une hésitation, une imprudence, un accident de parcours.
La collusion dans le four, le rapprochement, l’attouchement, le point d’attache ! savoir que la pièce raku n’est pas un objet fini, il est chair, lumière, espace, sensations !

La chance du potier, c’est d’avoir vu la rencontre possible entre la terre et le ciel, entre la terre lourde aux pieds et ses yeux fixés au ciel, c’est de ne pas contourner l’obstacle, mais le pénétrer sans résister au milieu de lui, avec ses peurs, ses faiblesses, ses abandons, c’est maintenir dans la nuit, jusqu’à trouver l’étoile, c’est de se reconnaître pour ce qu’il est et d’être celui-là, c’est d’être habité par la perfection et de vouloir la rejoindre, c’est la rencontre de sa part humaine avec sa part divine, c’est d’accepter l’apport de cette force invisible qui l’envahit, fait alliance avec le travail de la spontanéité et l’impulsion qui jaillit d’une sensibilité à fleur de peau pour donner naissance à l’œuvre, c’est reconnaître le lieu précis pour passer de l’autre côté du pont et être la bonne rive de lui-même.

C’est d’avoir atteint, les yeux ouverts, la pure dimension où le feu ne brûle pas, où la force ne fait pas chuter.

La chance du potier ?

Elle est faite de ce qu’il fait mais cela ne suffit pas, pour une part, elle est mystère, et lorsqu’elle est présente elle le baigne et le surprend ; pourtant rien n’est moins surprenant mais toujours, l’extrême beauté, I’extrême intelligence, I’extrême amour sont bouleversants, surprenants.

Elle est subtile et légère comme la poussière dans le rayon de soleil. On ne peut la saisir. On y voit la poussière ou l’or. La chance c’est l’or de la poussière.

Elle le sépare plutôt du reste du monde et fait ses bonheurs secrets.

La chance du lecteur c’est que le raku se revendique lui-même devant l’effacement de son créateur, mais aussi, imprégné de la responsabilité et la re-connaissance qui se sont installées entre eux.

Quand je découvre un objet raku, ce n’est pas que la sensation instinctive qu’elle peut déclencher qui m’émeut mais aussi, l’instant d’essoufflement, d’hésitation qui me maintient à la surface, dans l’inquiétante fascination des apparences, avant de plonger dans l’impossible profondeur.

Alors…

je m’embarque avec eux et me laisse dériver dans leur primitive simplicité. Chance !

Marie-France Vilcoq